Les 100 ans de l’émeute de Québec :
une indifférence symptomatique
Ce dimanche 1er avril est marqué par le 100e anniversaire d’un épisode de répression canadienne d’une virulence telle qu’il aura marqué plusieurs générations de Québécois. Et l’impunité des responsables demeurant encore intacte aujourd’hui, il y a lieu d’en tirer certains enseignements clairvoyants et lucides sur le Canada actuel.
Au moment où en 1914, l’Angleterre (et donc aussi son Dominion du Canada) s’engage dans la Première guerre mondiale, l’humeur des Canadiens français est déjà très mauvaise. Depuis 1912 en effet, l’Ontario inflige son Règlement 17 abolissant presque totalement l’enseignement en français dans les écoles de cette province. Outrés par cette injuste violation des droits des francophones que cautionne le gouvernement fédéral, les Québécois se fâchent quand, dès 1915, se font entendre les premiers appels à l’enrôlement obligatoire pour les champs de batailles du vieux continent. Au nom de quoi devrait-on y servir de chair à canon au bénéfice d’un empire qui nous opprime? En décembre 1916, le premier ministre Robert Borden cède aux pressions britanniques et déclenche des élections afin d’obtenir le mandat d’imposer la conscription. Le chef libéral Wilfrid Laurier s’y oppose et remportera la plupart des circonscriptions québécoises mais subira un cuisant revers au Canada anglais. Le fossé entre francophones et anglophones apparaît alors dans toute sa profondeur. Devenue réalité à l’été 1917, la conscription lance partout au Québec ses « spotters », policiers fédéraux chargés de capturer les insoumis. De houleux rassemblements de protestation auront lieu à Hull, Sherbrooke, Montréal et Québec.
Le 1er avril 1918, on en est au cinquième jour d’agitation à Québec. Venus de l’Ontario et du Manitoba, 1500 militaires de la cavalerie et de l’infanterie, baïonnettes aux fusils, entourent une foule de 400 protestataires et curieux rassemblés ce soir-là dans le quartier Saint-Sauveur. Plus tôt, les chevaux de la cavalerie avaient piétiné femmes et enfants sur les trottoirs. La foule avait alors fait pleuvoir morceaux de glace et invectives sur les militaires. Leurs majors Mitchell et Rodgers veulent en finir. Un peloton d’une quinzaine de soldats reçoit l’ordre de tirer et s’exécute plusieurs fois, abreuvant la foule d’injures racistes entre les salves. Terrorisés, les manifestants fuient dans toutes les directions mais les officiers ordonnent tout de même l’emploi répété des mitrailleuses. Quatre hommes mourront et 70 personnes seront blessées, mais jamais personne ne sera accusé pour son rôle dans ce carnage. En avril 1918, le gouvernement Borden imposera même la loi martiale à Québec. Six mille soldats en assureront l’application dans la ville jusqu’en mars 1919 et ce, même si la guerre prendra fin en novembre 1918. Le rapport du coroner révélera plus tard que des balles explosives ont été utilisées. Il recommandera que les familles des victimes soient dédommagées mais jamais rien de tel ne se produira.
Au cours des dernières années, le premier ministre Brian Mulroney a offert les excuses officielles du gouvernement fédéral aux Canadiens d’origine japonaise dépossédés de leurs biens et incarcérés dans des camps durant la Seconde guerre mondiale. Stephen Harper a fait de même aux Canadiens d’origine chinoise s’étant vus imposer des taxes d’entrée à l’immigration. Il a aussi présenté les excuses du Canada aux Premières nations pour les ravages des pensionnats autochtones. Le premier ministre Justin Trudeau s’est excusé pour le refoulement de 400 immigrants sikhs fuyant l’Inde en 1914. Il s’est aussi excusé à la communauté LGBTQ2 pour les multiples discriminations subies dans l’appareil de l’État. La Colombie-Britannique s’est excusée à la nation Tsilhqot’in pour la condamnation à tort de six chefs pendus en 1864, et le gouvernement Trudeau vient de les exonérer.
Mais jamais le gouvernement fédéral ne s’est excusé pour avoir refusé de faire usage de son pouvoir de désaveu, pourtant courant à l’époque, lorsque de 1864 à 1912, toutes les provinces anglaises ont adopté des lois restreignant l’enseignement en français. Aucune province ne l’a fait non plus, à l’exception notable de l’Ontario de Kathleen Wynne qui, ce faisant en 2016, a soulevé contre elle les foudres de ses concitoyens. Jamais les gouvernements fédéral et des autres provinces ne se sont excusés pour avoir imposé à la seule province francophone une constitution diminuant les pouvoirs de son parlement. Jamais l’État fédéral n’a mis le moindre regret d’avoir suspendu les libertés civiles des Québécois en octobre 1970 pour faire emprisonner 450 adversaires politiques n’ayant rien eu à voir avec les actes du FLQ. Et les 100 ans du massacre du 1er avril 1918 à Québec ne lui a rien inspiré non plus. Pour tous ces torts subis, pourquoi les francophones et les Québécois ne recevront-ils pas réparation de sitôt? Parce qu’ils n’ont pas la sympathie de l’électorat canadien-anglais. Parce que l’admission de quelque injustice passée ou présente que ce soit risquerait trop de nuire à la sacro-sainte unité canadienne et d’alimenter le mouvement indépendantiste québécois. Autrement dit, parce que contrairement aux Autochtones, les francophones du Canada ne sont pas encore assez minoritaires.