Maxime Laporte et Christian Gagnon,
respectivement président général et conseiller général, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Nous reprenons ici, avec quelques ajustements, un texte paru dans Le Devoir du 27 novembre 2015 à l’occasion du 130e anniversaire de l’exécution de huit Autochtones à Battleford en Saskatchewan. Ce triste épisode, inscrit dans la foulée de la résistance métis et autochtone face aux entreprises de colonisation de l’Ouest par le régime d’Ottawa, donnent un aperçu de ce qu’était le Canada au temps de sa fondation. Jusqu’à nos jours, la vision raciste des fondateurs à l’égard des Premières nations aura laissé des cicatrices indélébiles.
Les dernières années auront été chargées en épreuves, en émotions fortes et en luttes pour les tout premiers peuples fondateurs du Canada, aujourd’hui réduits au statut d’infimes minorités en marge de l’État, sous l’effet de l’inique Loi sur les Indiens, véritable système d’apartheid et de déshumanisation.
Femmes autochtones
Il y a déjà deux ans, en 2015, il y eut l’aboutissement des démarches de l’Association des femmes autochtones du Canada. Incapables de faire céder Stephen Harper dans son refus d’instituer une Commission d’enquête publique sur les 1200 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées depuis 30 ans, ces militantes auront tout de même obtenu du Parti libéral du Canada, maintenant au pouvoir, la promesse de lancer une telle enquête, laquelle sera finalement mise sur pied en septembre 2016 pour se poursuivre jusqu’en décembre 2018.
Parallèlement, les allégations de sévices sexuels, d’abus et d’intimidation de femmes autochtones par des policiers de la Sûreté du Québec à Val-d’Or n’auront pu que renforcer leur cause. Dans la foulée de ces révélations troublantes, le gouvernement du Québec décidera quant à lui de constituer à la fin de l’année 2016 la Commission Viens sur les relations avec les Autochtones afin «d’identifier les causes sous-jacentes à toute forme de violence, de discrimination systémique et de traitements différents qui pourraient exister à l’égard des Autochtones dans le cadre de la dispensation de certains services publics au Québec».
«Vérité et réconciliation»
Il y eut aussi la conclusion de la Commission de vérité et réconciliation, ponctuée de douloureux témoignages de victimes des pensionnats autochtones. Dès 1883, l’instigateur de ces usines à assimilation, le Premier ministre John A. Macdonald, ne cachait même pas son but de rayer les cultures amérindiennes de la carte du Canada. Pendant plus d’un siècle, 150 000 enfants ont ainsi été arrachés à leur famille. Déposé en mai 2015, le rapport des commissaires concluait au «génocide culturel», des mots lourds de sens que Stephen Harper a refusé de faire siens, lui qui avait entrepris de faire célébrer, par tous les Canadiens durant cette année-là, le bicentenaire du même John A. Macdonald. Plus tard, Justin Trudeau enjoindrait quant à lui le Pape, si ce n’est Dieu lui-même, à s’excuser à son tour pour les préjudices subis par les Autochtones, comme pour détourner momentanément l’attention qui était alors portée principalement sur la responsabilité historique de l’État canadien…
Cause Caron: comme une seconde «pendaison» pour Louis Riel
En novembre 2015, à l’avant-veille du 130e anniversaire de la pendaison de Louis Riel, était inauguré à Maskinongé le Mémorial en hommage au grand chef Métis du Nord-Ouest et à sa grand-mère, Marie-Anne Gaboury, première femme non-autochtone dans l’Ouest canadien. À peine l’événement avait-il rappelé aux Québécois leurs liens profonds avec les Premières nations que tombait le jugement de la Cour suprême sur la cause Caron.
Rappelons qu’après la rébellion des Métis de 1870, Louis Riel et son gouvernement provisoire de la Rivière-Rouge obtenaient, tel que promis par la Couronne, la création de la province bilingue du Manitoba, sur un territoire minuscule en proportion de la Terre de Rupert revendiquée. Mais pour Macdonald, «ces sang-mêlé impulsifs ont été gâtés par leur émeute, et doivent être maîtrisés par une main forte jusqu’à ce qu’ils soient inondés par un afflux de colons».
En 1885, opprimés et dépossédés de leurs terres, Riel et les Métis se soulevèrent de nouveau à Batoche, en future Saskatchewan. Cette fois, Macdonald envoya l’armée pour les massacrer à la mitrailleuse Gatlin et achever les blessés à la baïonnette. Le français, langue officielle et d’enseignement, fut banni au Manitoba – jadis francophone aux deux tiers – ainsi que dans les nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, découpées en 1905 à même cette ancienne Terre de Rupert.
Ce que tentaient de faire valoir depuis 12 ans ces francophones de l’Ouest dans la cause Caron, c’est que les promesses de bilinguisme faites aux Métis en 1869 visaient toute la Terre de Rupert et qu’elles auraient donc dû avoir valeur constitutionnelle au moment de la création de l’Alberta et de la Saskatchewan. « Non », leur a répondu la majorité des juges du plus haut tribunal canadien, deux des trois magistrats du Québec étant dissidents. Selon l’interprétation réductrice de la Cour suprême, les «droits acquis» institués à l’époque dans ces deux provinces n’incluaient pas explicitement le français. Quel bel aval à la terreur…
Un génocide tout court
À la fin du 19e siècle, les troupeaux de bisons se trouvant décimés, les Premières nations de l’Ouest étaient en proie à la famine. Or, le gouvernement du Canada s’étant engagé par traité à subvenir aux besoins en vivres des Amérindiens en tel cas, John A. Macdonald y vit plutôt l’occasion de vider les Prairies de ses Autochtones pour mieux y faire passer son train du Canadien Pacifique, promis à la Colombie-Britannique afin qu’elle joigne le Canada.
Le Premier ministre créa donc le concept des réserves et y enferma les Autochtones, les privant intentionnellement de nourriture, comme l’a magistralement démontré le professeur James Daschuk («Clearing the Plains», University of Regina Press, 2013). L’auteur ne parle pas de «génocide culturel» mais bien de «génocide» tout court. Mourant par milliers de faim et de maladie, les Autochtones se soulevèrent et prirent les armes. Autre massacre de l’armée canadienne.
Puis, le 27 novembre 1885 à l’aube, une vaste foule d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards des réserves était forcée d’assister, à Battleford (Saskatchewan), à la pendaison de six Cris et deux Assiniboines. «L’exécution des Indiens […] doit convaincre l’homme rouge que c’est l’homme blanc qui gouverne», écrivit Macdonald. Huit d’un coup: c’est l’exécution la plus massive de l’histoire du Canada.
Solidaires des Premières nations
Alors, ces célébrations du 150e de la Confédération? En cette année d’exaltation nationaliste pour les Canadiens, les Québécois devraient plutôt se sentir solidaires des Premières nations, victimes du suprématisme anglo-saxon de John A. Macdonald et de ses semblables orangistes, tout comme l’ont été les francophones de l’Ouest. Au-delà des plates excuses et des belles paroles, il est plus que temps de poser des gestes concrets afin de reconnaître à ces peuples leur droit à la dignité et à disposer d’eux-mêmes.