L’incendie du parlement de Montréal

par Christian Gagnon,
conseiller général, SSJB, membre du collectif 150ansde.ca

« L’incendie du Parlement à Montréal »,  Joseph Légaré, 1849 (Musée McCord)

Il y a exactement 168 ans ce 25 avril avait lieu à Montréal un événement d’une rare violence dans l’histoire politique du Québec. Ce jour de 1849, 1500 émeutiers anglophones prirent d’assaut le parlement, le saccagèrent et y mirent le feu, mettant en fuite les députés qui y siégeaient et détruisant entièrement le bâtiment, incluant sa bibliothèque contenant 25 000 documents des archives du Canada remontant jusqu’aux tout premiers temps de la Nouvelle-France. Mais outre l’immense perte de ces précieux documents, ce qui rend cette attaque particulièrement odieuse, c’est qu’elle visait au premier chef la destruction du tout premier gouvernement véritablement démocratique du Canada. Or, si l’autorité britannique avait voulu empêcher ce saccage, elle n’aurait eu qu’à y envoyer les 10 000 soldats des casernes environnantes. Mais elle a choisi de ne pas le faire. Pire, la foule avait été incitée à se rassembler sur la Place-d’Armes par une édition spéciale de la Montreal Gazette les appelant au combat au nom de la suprématie de la race anglo-saxonne. Enfin, comble des combles, celui qui a allumé le brasier est nul autre que le chef des pompiers lui-même. Mais comment ces milliers de fanatiques en sont-ils venus à cela et que reste-t-il de cette mentalité, encore aujourd’hui?

Ces violences du 25 avril 1849 sont survenues dans un contexte où les Bas-Canadiens (les ancêtres des Québécois) sortaient d’une quinzaine d’éprouvantes années de crise qu’ils croyaient pourtant derrière eux. Les premiers affrontements parlementaires se produisirent au début des années 1830 alors que le Parti patriote de Louis-Joseph Papineau réclamait notamment des autorités britanniques l’élection du Conseil législatif, la responsabilité ministérielle et le contrôle du budget par l’Assemblée. C’est que les députés élus par le peuple étaient entièrement soumis à la préséance du Conseil législatif dont les membres étaient majoritairement nommés par Londres. Toute décision des députés pouvait donc être annulée d’un simple claquement de doigts par le pouvoir colonial, ce dont il ne se privait pas!

Soumises à Londres en 1834 sous la forme des « 92 Résolutions », ces revendications des Patriotes reçurent en 1836 une fin de non-recevoir catégorique. Les choses continuèrent à s’envenimer jusqu’à ce qu’éclatent en novembre 1837 puis en 1838 des rébellions armées des Bas-Canadiens – pudiquement appelées « les Troubles » – contre les autorités britanniques. Ces soulèvements furent très brutalement réprimés par l’armée anglaise qui mata les révoltes par le sang et le feu, massacrant les insurgés et incendiant de nombreux villages. Cinquante-huit hommes seront exilés et douze autres seront pendus. Les Patriotes sont vaincus.

Lord Durham recommande que les francophones soient minorisés et assimilés

Envoyé par Londres pour enquêter sur la situation, Lord Durham soumet en 1839 son rapport recommandant que les francophones soient minorisés et ultimement assimilés en fusionnant le Bas-Canada avec le très anglophone Haut-Canada (essentiellement l’Ontario d’aujourd’hui). L’Acte d’Union est promulgué en 1840. Le « Canada-Uni » était né, et les anglophones du Bas-Canada n’en attendent rien d’autre que la soumission totale des francophones en tant que peuple conquis.

En 1849, l’évolution des choses n’est pas du tout au goût des Anglo-Montréalais. L’année précédente, Londres avait levé l’interdiction du français au parlement du Canada-Uni. Et pour la première fois, les ministres n’avaient pas été nommés par le gouverneur, un Britannique, mais par les chefs du parti au pouvoir, Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine. Affront suprême : La Fontaine, un francophone, est premier ministre! Et voilà que le gouverneur amnistie tous les insurgés de 1837-38. Mais pour les Anglais et Écossais de Montréal, la limite du tolérable est dépassée lorsque La Fontaine présente un projet de loi proposant d’accorder des indemnités aux personnes qui, n’ayant pas participé aux Rébellions, ont néanmoins subi la perte de leurs biens au cours de la répression militaire qui s’ensuivit.

C’en est trop! Bien que les mêmes compensations aient été consenties aux victimes des rébellions du Haut-Canada, les Anglo-Montréalais, comptant pour 24 000 des 43 000 habitants de la ville, sont furieux. De tous les journaux anglophones de Montréal, The Gazette est le plus virulent. Ce 25 avril, tout de suite après que le gouverneur Elgin ait accordé la sanction royale à l’« Acte pour indemniser les personnes dans le Bas-Canada dont les propriétés ont été détruites durant la rébellion dans les années 1837 et 1838 », le quotidien publie une édition spéciale appelant à la révolte. « Rebellion is the law of the Land », écrit The Gazette, évoquant aussi la suprématie de la race anglo-saxonne en ajoutant, « Anglo-Saxons ! You must live for the future. Your blood and race will now be supreme, if true to yourselves. »

Rare artefac ayant survécu à l’incendie, les armoiries du Canada-Uni avaient été arrachées par les émeutiers de 1849. Photo : Pedro Ruiz (Le Devoir)

Il incite les Anglo-Saxons à se rassembler le soir-même sur la Place d’Armes. Il en viendra 6000, soit le quart de tous les anglophones de la ville. Après avoir été chauffée à blanc par des orateurs, la foule en colère est incitée à se rendre au Parlement. Sur place, des émeutiers, dont le chef des pompiers Alfred Perry, défoncent la porte du parlement à coup de bélier. Brutalisés, les députés fuient les lieux. L’incendie se déclare aussitôt, mais la foule empêche des pompiers d’intervenir et le parlement sera complètement rasé. Quelques jours plus tard, une autre foule d’Anglo-Saxons se rue sur la maison du premier ministre dans le but précis de le pendre et de traîner son cadavre dans la ville, mais La Fontaine s’échappe miraculeusement. Les violences et incendies criminels se prolongeront durant des mois. La ville sera dès lors jugée trop tendue et dangereuse pour y abriter le parlement. La capitale quittera donc Montréal pour ne plus jamais y revenir.

Épisode honteux pour les Anglo-Montréalais, l’incendie du parlement de 1849 a toujours été un grand tabou. Lorsqu’en 2009, la SSJB a saisi l’occasion du 160e anniversaire de la catastrophe pour sommer le quotidien The Gazette de faire amende honorable, son éditeur-en-chef, Andrew Philips, a refusé, estimant que puisque quatre autres quotidiens s’étaient opposés aux indemnisations, The Gazette n’avait rien à se reprocher. Pourtant, seul The Gazette a publié une édition spéciale appelant à l’émeute et à la violence. Comme quoi, à l’égard du Québec, le modus operandi canadien est toujours le même. Pour l’incendie du parlement de 1849 comme pour l’imposition de la Constitution de 1982 et tant d’autres choses : d’abord, refus d’abandonner ses privilèges issus de la Conquête; ensuite, emploi de la manière forte pour les préserver et, enfin, déni de toute faute.

 

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